Club « Éthique & Politique »

Président d'Honneur : Max CAVAGLIONE, Commandeur de la Légion d'Honneur

Président : Jean-Christophe PICARD

Réflexion (1er janvier 2005)

 

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La République illisible

L’article 14 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen proclame que « tous les Citoyens ont le droit de constater, par eux-mêmes ou par leurs représentants, la nécessité de la contribution publique, de la consentir librement d'en suivre l'emploi, et d'en déterminer la quotité, l'assiette, le recouvrement et la durée ».

Force est de constater que ce principe élémentaire est, aujourd'hui, inapplicable. En effet, la République est devenue illisible non seulement pour l’ensemble des citoyens, mais également pour la plupart des élus…

Acte II de la complexification

La décentralisation, nécessaire et souhaitable, est devenue, au fil des ans, une véritable usine à gaz. Certes, on a réussi à compenser l’émiettement communal – phénomène typiquement français – grâce à l’intercommunalité, mais on s’est bien gardé, en parallèle, de diminuer le nombre d’échelons.

On attendait donc avec beaucoup d’impatience ce que l’on a appelé « l'acte II de la décentralisation » qui était sensé, selon l’exposé des motifs de la loi, « clarifier l'exercice de nombreuses compétences ».

Las, cette énième réforme n’a pas été le bouleversement annoncé. Elle n’a ainsi pas renforcé les attributions des régions et des établissements publics de coopération intercommunale qui avaient pourtant vocation à devenir les nouveaux fers de lance de la décentralisation. À l’inverse, les départements, dont la suppression est pourtant régulièrement évoquée, ont vu leur rôle consolidé. Surtout, le transfert de blocs de compétences, indispensable pour définir de manière claire les missions de chaque échelon, reste inachevé.

En outre, le législateur a eu la mauvaise idée de mettre les différentes collectivités locales en concurrence entre elles pour l’exercice de certaines compétences, comme la gestion des ports ou des aérodromes. Alors qu’avant les élus se marchaient sur les pieds dans de nombreux domaines, ils sont, aujourd'hui, inciter à se chamailler pour exercer telle ou telle prérogative. Ainsi, le Conseil Régional Provence-Alpes-Côte d’Azur et le Conseil Général des Alpes-Maritimes sont en conflit ouvert pour obtenir du Préfet de Région la gestion du Port de Nice.

Ce nouveau cadre législatif ne devrait donc pas arranger les rapports entre les différents élus qui, avec les multiples échéances électorales les transformant régulièrement en rivaux, avaient déjà suffisamment de raisons pour ne pas travailler ensemble.

Transparence introuvable

Le contrôle souhaitable de l’activité politique implique que les citoyens, d’une part, puissent prendre connaissance des décisions de leurs élus et, d’autre part, soient en capacité de les comprendre…

L’accès aux documents les plus simples est loin d'être une évidence. À l'époque d’internet, il est encore fréquent de devoir demander, par courrier, la copie d’une simple délibération… et d’attendre plusieurs semaines, voir plusieurs mois, pour l'obtenir. Dans tous les cas, aucune sanction ne peut être faite à une collectivité qui traîne systématiquement les pieds pour transmettre des pièces.

Une fois l’acte demandé entre les mains, on constate, bien souvent, que ses rédacteurs ont déployé des trésors d'ingéniosité pour transformer les idées les plus simples en logorrhée alambiquée.

Celui qui, tel Champollion, parvient néanmoins à déchiffrer ne serait-ce qu’une simple délibération, doit encore être en capacité de la mettre en perspective par-rapport à la réglementation en vigueur… Il devrait donc s’y retrouver au milieu des lois successives, modifiées ou non, des codes changés régulièrement (comme celui des marchés publics), des multiples décrets, arrêtés et circulaires. Au final, cet arsenal normatif ne lui permettra pourtant pas d’être sûr de l'intention du législateur. Il lui faudra encore attendre la jurisprudence et compulser la doctrine qui, dans tous les cas, ne sont jamais définitives.

Mais, obtenir un acte administratif d’une collectivité, le comprendre et l'analyser n’est parfois qu'un début ! Dans certains cas, il faudra encore compléter cette pièce par celles émanant des autres échelons et portant sur le même domaine. On ne compte plus, en effet, les documents de planification qui s’imbriquent les uns aux autres…

Évaluation impossible

Comment, dans ses conditions, évaluer le travail d’un responsable politique pour, le cas échant, le soutenir ou le sanctionner ? Impossible !

D’ailleurs, les élus eux-mêmes ne se privent pas de jouer sur cette utile confusion.  Ainsi, ils mettront sans scrupules des effets négatifs – ou tout du moins impopulaires – sur le dos des autres échelons, voire de l’Europe qui apparaît souvent comme le bouc émissaire ultime. Par contre, des retombées positives seront forcément le fruit de leur « engagement personnel ».

Le pire, comme on pouvait s’en douter, se rencontre pendant les campagnes électorales où les candidats semblent s’être donné le mot pour raconter n'importe quoi à leurs électeurs. Ainsi, le Front National promet sans sourciller de lutter comme l'immigration... même dans les scrutins locaux ! Mais ce parti n'a pas le monopole de la démagogie. Ainsi, il est courant que des candidats à la députation promettent de prendre des décisions qui relèvent pourtant des conseillers municipaux, généraux ou régionaux. De même, lors des dernières élections municipales, de nombreux candidats s’engageaient à lutter contre l’insécurité, domaine qui n'est pourtant pas de leur ressort. Bref chacun participe à cette joyeuse confusion, d'autant que les médias se gardent bien de rétablir une vérité qui n’est, il est vrai, pas évidente à déceler.

Au final, on votera donc sans vraiment avoir le recul nécessaire pour évaluer les promesses des différents candidats en présence et sans être en mesure de juger du bilan des élus sortants.

Décideurs inconnus

Mais, de toutes façons, est-ce vraiment les élus qui décident ? Il y a, en effet, une évidence sous notre bonne vieille Ve République : on ne sait pas où se prennent les décisions, ni par qui. La seule chose dont on soit sûre, c’est qu’elles ne sont pas prises là où elles devraient l’être et ceux qui les prennent ne sont pas ceux qui ont mandat pour le faire. Aujourd’hui, la situation est telle qu’il est devenu un lieu commun de qualifier les assemblées délibérantes de simples chambres d’enregistrement, chaque élu respectant scrupuleusement les consignes de vote de son groupe politique. La décision est prise en amont et ailleurs…

La prospérité des différents groupes de pression, qui agissent de préférence en catimini, est révélatrice de cette situation. D’ailleurs, le mot « lobby » désignait, à l’origine, les couloirs de la Chambre des Communes britanniques car c’était là, en effet, que tout se décidait.

Au final, il sera difficile de déterminer l’origine d’une décision et d’en connaître les véritables causes.

Pour que la Politique ne soit plus, comme le disait Paul VALÉRY, « l’art d’empêcher les gens de s’occuper de ce qui les regarde », le préalable doit être de faire évoluer nos institutions, nos lois et nos pratiques vers plus de clarté. L’objectif est de construire une décentralisation, et plus globalement une République, qui soit compréhensible par les citoyens.

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